Les méandres de l’alimentation USB

« Allô oui, Etienne Dechamps à l’appareil »
« Salut c’est Zure, dis-moi, est-ce que ça te dirait de faire un guest post sur mon blog à propos de tes expériences avec les chargeurs USB ? »
« Mmm… que je comprenne bien : tu me demandes d’écrire un billet ultra-technique portant sur les détails des interactions électroniques qui entrent en jeu lors de l’utilisation d’une alimentation USB, le tout sur un blog dont le thème est centré sur les mangas et les jeux vidéo ? »
« Tout à fait. »
« Très bien, cela me semble tout à fait logique et approprié. Je m’en charge de ce pas. »

Me voilà donc, tel un cheveu sur votre soupe, à étaler ma science là où elle n’a rien à y faire. Et pour ceux qui se poseraient la question : non, le blog de Zure n’a pas été piraté, et je décline toute responsabilité quant aux maux de tête que le pavé de texte ci-dessous va immanquablement vous causer. De toute façon, je ne prends pas les réclamations ; si vous avez un problème, adressez-vous à Zure, après tout c’est elle qui a voulu participer au concours du « guest post le plus hors contexte de l’année ». Moi j’y suis pour rien.

Je tiens tout de même à préciser que vous trouverez en bas de ce billet un TL;DR salvateur. Si vous choisissez de ne pas tricher et de tout lire (ou au moins de faire semblant), vous pouvez participer à un tirage au sort pour gagner un Pin’s.

Vous voilà averti, nous pouvons maintenant entrer dans le vif du sujet.

Je sais pas pour vous, mais j’ai toujours trouvé le mécanisme de l’alimentation par USB (pour recharger un smartphone, toussa) assez confus et frustrant : parfois ça charge vite, parfois ça charge lentement, sans aucune logique apparente.

J’ai creusé le sujet et essayé de comprendre les facteurs qui déterminent la quantité de courant qui peut être fourni par un port USB selon la situation. J’ai fait des découvertes assez intrigantes qui je pense pourraient vous aider dans la vie de tous les jours, au vu de l’omniprésence des alimentations USB dans les appareils de la vie courante.

Avant de continuer, précision importante pour la suite : une alimentation USB, c’est ~5 volts (plus précisément entre 4,75V et 5,25V – USB 2.0 §7.2.2, USB Battery Charging VCHG). Le courant typique nécessaire pour charger un smartphone à vitesse maximale est de l’ordre de 1 ampère (ce qui donne donc 5 watts, parce que P=UxI). Pour les appareils vraiment gourmands genre tablette ça peut monter jusqu’à 2 ampères (10 watts).

Le premier scénario, c’est lorsque vous branchez votre appareil sur un port de PC, ou un hub, bref un « vrai » port USB actif, avec un câble normal, et qu’une connexion de données s’établit. Dans ce cas, le port est soit un Standard Downstream Port (SDP) et le standard USB préconise alors un courant maximal de 0.5A (USB Battery Charging §1.4.13), ou bien un Charging Downstream Port (CDP) et le port est alors tenu de fournir au moins 1.5A sous 5V (USB Battery Charging §4.2.1). Pour obtenir le comportement d’un CDP il faut que l’hôte (ou hub) et l’appareil le supporte, et j’ai l’impression que ce n’est pas souvent le cas – en tout cas je n’arrive pas à l’observer avec les appareils que j’ai.

Ce premier scénario est frustrant, mais au moins il a le mérite d’être simple. Dès qu’on sort de ce scénario de base, on entre dans un magnifique bordel. Accrochez-vous pour la suite.

L’autre cas donc, c’est lorsque vous branchez votre appareil sur ce que le standard USB appelle un DCP, ou Dedicated Charging Port (USB Battery Charging §1.4.7). Ce concept a été introduit par-dessus la norme USB 2.0 originale lorsque l’industrie a commencé à utiliser USB comme mécanisme d’alimentation pur, chose pour laquelle USB n’avait pas été conçu à la base.

Un DCP se définit de manière très simple : au lieu d’avoir des broches de données (D+/D-) actives, elles sont simplement court-circuitées (reliées, quoi). L’appareil détecte cet arrangement et peut alors se mettre à pomper du jus sur les broches d’alimentation. Selon le standard, un DCP est tenu de fournir un minimum de 0.5A (sous 5V) et autorise jusqu’à 5A (USB Battery Charging §4.4.1).

Vous l’aurez compris, un DCP ne désigne rien d’autre qu’un bête chargeur USB, souvent livré avec l’appareil et dont pléthore de variantes sont trouvables chez n’importe quel marchand, avec une qualité très variable, notamment concernant la quantité et la qualité du courant fourni. S’il est rare de trouver des adaptateurs secteur incapables de fournir au moins 1W (1A sous 5V), on peut parfois avoir des surprises lorsqu’on essaie de pomper plus pour recharger une tablette par exemple, ou lors de l’utilisation de ports d’origine vraiment douteuse (adaptateur chinois à 1 €, adaptateur allume-cigare, prise dans avion/train/aéroport…).

À noter que parfois, on trouve des chargeurs qui ont l’air d’un bête DCP, mais qui embarquent en fait une puce qui essaie de détecter de manière plus ou moins hasardeuse ce qui se trouve à l’autre bout. Je pense que c’est pour essayer de détecter les appareils utilisant des standards d’alimentation proprio à la con (c’est à dire qui ne respectent pas le standard USB Battery Charging – encore une source de complications, mais je n’irai pas dans les détails pour des raisons de santé mentale). À première vue ça parait utile, sauf que parfois ça se retourne contre l’utilisateur : par exemple, lorsque j’utilise ma batterie externe pour recharger mon Nexus 5, ce dernier la considère comme un SDP (au lieu d’un DCP) et se retrouve limité à 0.5A…

Pour compliquer le tout, il existe des accessoires qui court-circuitent les broches D+/D-, et transforment donc n’importe quel port en DCP. C’est le cas des câbles dits « charge seulement », ou encore des « préservatifs USB ». Ces accessoires sont utiles lorsqu’on veut « forcer » un port à fonctionner en temps que DCP. Les candidats qui viennent à l’esprit sont les ports de PC, et les ports « intelligents » que je viens de décrire au paragraphe précédent. Par exemple, dans le premier cas, ces accessoires me permettent d’utiliser le port « spécial charge » de mon Ultrabook même si le PC est en marche (autrement le port est vu comme un SDP), me permettant ainsi de tirer 0.85A au lieu de 0.5A. Ils me permettent aussi de contourner les limitations de ma batterie externe prise comme exemple au paragraphe précédent, permettant ainsi à mon Nexus 5 de pomper depuis la batterie externe à 1.15A au lieu de 0.5A.

Vous suivez ? Attendez, c’est pas fini. Il y a encore un autre facteur qui entre en jeu pour déterminer la quantité de jus dont disposera votre appareil : le… câble. Et non, je ne parle pas seulement du branchement des broches D+/D- étudié au paragraphe précédent.

À mon grand désarroi, après avoir testé une demi-douzaine de câbles USB d’origines diverses et variées qui trainaient chez moi, j’ai pu constater qu’un seul d’entre eux est capable de fournir les 1A que mon Nexus 5 demande sans coup férir, et ce indépendamment du port utilisé. Tous les autres se trainent entre 0.70 et 0.85A, sauf un, qui réussit l’exploit de limiter le courant à 0.4A !

Après avoir rapidement mis en place un protocole expérimental rudimentaire pour étudier les différences entre ces différents câbles, je suis arrivé à la conclusion que ces différences sont causées par la résistance électrique de ces câbles (elle-même typiquement un produit de la taille – section et longueur – du câble). Ainsi, j’ai pu mesurer une résistance de l’ordre de 1Ω (aller-retour) dans le plus mauvais câble. Ça peut paraitre peu, mais cela pose un gros problème : en effet, selon la loi d’Ohm, la chute de tension entre les bornes du chargeur et les bornes de l’appareil avec un câble de 1Ω est égal à l’intensité du courant qui circule (V=IxR). Résultat : avec un bon chargeur fournissant une tension réelle mesurée de 5.11V, mon Nexus 5 monte progressivement en intensité jusqu’à arriver à 0.40A, seuil à partir duquel la tension aux bornes de l’appareil passe en dessous de 4.71V… et ça s’arrête là, probablement parce que le Nexus 5 ne peut pas descendre plus bas en tension. À l’opposé, mon meilleur câble permet à mon Nexus 5 de pomper plus de 1.15A avec le même chargeur, une différence du simple au triple !

Comme quoi, il n’y a pas de petits profits : les constructeurs de câbles au rabais rognent sur la section des conducteurs, augmentant leur résistance et produisant ainsi des câbles inadaptés aux appareils forts consommateurs de courant. Je n’ose même pas imaginer la rareté des câbles permettant d’atteindre 2A pour recharger une tablette… aussi, il convient de rappeler que la résistance est proportionnelle à la longueur du câble, donc les câbles longs sont particulièrement risqués.

À noter que j’ai remarqué lors de mes recherches qu’il existe des techniques « intelligentes » pour compenser la chute de tension causée par le câble depuis le chargeur, mais ça m’étonnerait que ce genre de technique soit largement répandue, car cela gonfle le prix du chargeur.

Pour finir, je me dois de mentionner qu’un des câbles que j’ai testé est un cas spécial : il ne transmet pas les lignes D-/D+, mais ne les court-circuite pas non plus. C’est une très mauvaise idée : en effet, en l’absence de contact entre les broches D+ et D-, les appareils voient un SDP. Par conséquent, si vous branchez ce type de câble sur un chargeur dédié, vous forcez votre appareil à brider le courant à 0.5A ! Et bien sûr, puisque les lignes D+/D- ne sont pas connectées, ce câble n’est pas utilisable pour la transmission de données non plus. Résultat, vous perdez sur les deux tableaux. Fuyez ce genre de câble comme la peste.

TL;DR : si vous voulez vous assurer que vos appareils USB disposent toujours de la meilleure alimentation possible, suivez les conseils suivants :

  • Ne branchez pas l’appareil à un port de PC ou de hub, sauf cas spéciaux (tels qu’un port « spécial charge » avec PC éteint ou en veille).
  • Privilégiez les câbles « charge uniquement », courts, et de haute qualité (large section). Par exemple les câbles PortaPow, dont les specs mentionnent explicitement la faible résistance.
  • Faites attention à la qualité de la source de courant que vous utilisez (chargeurs chinois à deux balles, etc.).
  • L’utilisation d’un « USB-mètre » est fortement recommandée si vous souhaitez y voir plus clair. Attention, tous les appareils de mesure USB ne se valent pas – beaucoup d’appareils de ce genre ont eux-même une résistance non négligeable, voire « tripotent » les lignes D+/D- ce qui rend les résultats impossibles à interpréter. Le PortaPow Power Monitor est un exemple de bon appareil de mesure. Lorsque le moniteur est branché au niveau du chargeur et que l’appareil voit un DCP, l’interprétation est simple : si la tension reste dans les environs de 5V mais le courant n’est pas celui que vous attendiez, suspectez le câble ; si au contraire la tension se stabilise nettement en dessous de 5V, suspectez le chargeur.

Tous les résultats mentionnés dans cet exposé ont été vérifiés expérimentalement par mes soins à l’aide de divers montages destinés à mesurer les tensions à divers points du système. Je tiens également à remercier Docteur Téraboule, rédacteur en chef de Canard PC et grand spécialiste des alimentations, pour la relecture.

Si vous avez tout lu, félicitations ! Vous pouvez maintenant utiliser ces informations pour briller dans les soirées mondaines (ou pas). Pour obtenir votre Pin’s, envoyez votre demande à Zure en prenant soin de joindre un chèque de 1000 € pour les frais de port.

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